Jean-Pierre, ingénieur à la retraite, est tout heureux d’exhiber ses « mollets d’acier ». Son fils Pascal, lui aussi ingénieur et récemment converti à la randonnée, lui a offert pour son anniversaire une paire d’e-Malaya, le dernier modèle de Chaussures à assistance électrique (C.A.E.) commercialisé par Décatout. « Jusqu’alors le prix était prohibitif, mais dès que j’ai entendu dire qu’il y avait des aides pour acheter ces chaussures, j’ai sauté sur l’occasion ! » Entre 2 000 et 6 000 euros la paire, le marché de la C.A.E. peinait à faire des adeptes. Mais grâce au volet « Nouvelles mobilités électriques » du Plan « France Relance », l’État peut financer jusqu’à 80 % de l’achat d’une paire d’e-shoes, notamment pour ceux qui ont une ordonnance médicale.
« Sans ces chaussures, je ne serais jamais monté sur le plateau profiter du Grand Veymont, souffle Jean-Pierre. J’ai un problème au cœur, j’ai fumé deux paquets par jour pendant trente ans, et je suis en surpoids. Alors les chaussures électriques, pour moi, c’est la solution. » Des études récentes ont démontré qu’après quatre à cinq mois de marche électrique, les utilisateurs d’e-shoes voient leurs capacités respiratoires améliorées. L’équipe du professeur Jean-Luc Revol, médecin et chercheur au CHU de Grenoble, accompagne des personnes en situation de maladie pour les remettre en état de marche grâce aux C.A.E. « Les personnes touchées par un cancer, fatiguées par le confinement, déconditionnées physiquement, sont parvenues au sommet d’un col de 1 300 mètres », souligne le Professeur Revol. Les C.A.E. permettent « d’adapter les balades à chaque personne » et de « parcourir en famille de plus grandes distances même si les conditions physiques sont différentes. » Le très sérieux International Journal of Physical Activity rapporte avoir gagné en moyenne trois points de M.E.T. (équivalent métabolique) chez des personnes atteintes d’obésité après six mois de marche électriquement assistée.
Lever les freins à la chaussure électrique française
On se souvient de Barbara Pompili et d’Agnès Pannier-Runacher, respectivement ministres de l’environnement et de l’industrie, empruntant le 30 mai 2021 les premiers kilomètres du chemin de Compostelle équipées de leurs e-shoes : « C’est la preuve que l’écosystème France, quand il se met en ordre de marche, est capable de gagner ! », se réjouissaient alors les deux ministres. L’aventure de la C.A.E. française était en effet bien mal partie. Le marché de l’e-shoe était jusqu’alors largement dominé par la Chine, qui a investi depuis longtemps dans l’éco-mobilité, et les Allemands de Volkswagen, passés aux mobilités alternatives depuis le scandale du « Dieselgate ». La filière française est issue d’un partenariat entre la Délégation générale à l’armement, qui a ouvert ses connaissances sur les exosquelettes (ces prothèses destinées aux militaires), et les équipes R&D de Décatout, Salomon et Orange cybersecurité.
Mais produire français ne fait pas tout. Encore faut-il que la demande soit au rendez-vous. Et pour cela, il a fallu lever les principaux freins : le coût et l’autonomie électrique. Une paire d’e-shoes pèse entre douze et vingt-cinq kilos, qu’il faut porter à la seule force des mollets dès que les batteries au lithium sont déchargées. Et elles se déchargent vite. Les plus autonomes – qui sont aussi les plus lourdes – ont aujourd’hui six heures d’autonomie, soit environ trente kilomètres. C’est pourquoi les services de l’État se sont empressés d’installer au printemps des bornes de recharge le long des principaux chemins de Grande Randonnée. Les randonneurs en rencontrent aujourd’hui 6 000 sur le territoire : le long du fameux GR 20 qui traverse la Corse, d’un bout à l’autre de la partie française du Chemin de Saint-Jacques, et jusqu’au sommet du Grand Veymont, sur le Vercors, où nous avons croisé Jean-Pierre et Pascal, frais et fringants près d’une harde de bouquetins récemment réintroduits.
L’autre technologie bleu-blanc-rouge développée pour la marche à assistance électrique est la montre connectée aux chaussures. En plus de récolter les données de santé, la montre guide vos chaussures sur le réseau de bornes de recharge, vous propose les tracés les plus efficients selon la charge des batteries, et vous renseigne en temps réel sur l’affluence des chemins les plus prisés, comme la montée du Mont Blanc, pour suggérer des chemins alternatifs. Après la ville, la montagne se couvre elle aussi d’une couche d’intelligence.
La chaussure qui fait respirer la planète
« On ne peut pas atteindre les objectifs climat de l’accord de Paris et améliorer la qualité de l’air sans la mobilité électrique », nous déclare Ludivine Santi, secrétaire générale de l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique. C’est pourquoi la France investit dans les nouvelles mobilités afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Avec la voiture et le vélo électriques, la chaussure électrique devient un élément de politique de déplacements. « Il ne faut pas de trous dans la raquette des mobilités, continue Mme Santi, chacun doit trouver le mode de déplacement respectueux de l’environnement qui correspond à ses usages et ses capacités. Et la chaussure électrique doit prendre sa part. » En ville par exemple, pour se rendre sur son lieu de travail, la chaussure électrique peut représenter une alternative au véhicule thermique.
Mais la synergie écolo de l’e-shoe va plus loin. Ses bornes de recharge sont non seulement alimentées par un panneau solaire, mais elles stockent l’énergie dans des batteries de voitures ou de vélos électriques reconditionnées, et donc recyclées. « La démarche d’éco-responsabilité doit s’intégrer du début à la fin du process, et jusqu’à la fin de vie des composants, souligne l’ingénieur de l’ADEME Olivier Pentax, qui connaît les critiques sur le recyclage des batteries. Aujourd’hui, nous avons la technologie, nous avons les acteurs, rien ne peut plus freiner le développement de la C.A.E. » Ajoutons que nous aurons sûrement, quand Jean-Pierre et Pascal seront redescendus du Vercors, des marcheurs conquis qui sauront promouvoir une technologie à la fois locale et respectueuse de l’environnement. Que demander de mieux ?
De Tom 2.0,
notre solution de journalisme automatisé dans le Vercorsland