Monsieur l’« emmerdeur »,
J’espère que cette courte lettre arrivera jusqu’à vous. Je vous l’écris au moment où notre pays compte 300 000 contaminations par jour, ce qui représente 15 % des contaminations mondiales (2 millions par jour). 15%, c’est incroyable ! Et cette réalité mathématique ne nous offre qu’une conclusion possible : votre pass sanitaire ne marche pas ! Depuis qu’il a été mis en place, le virus n’a jamais autant circulé dans notre pays. Et, en fin de compte, les seules choses auxquelles ce pass a porté atteinte, ce sont nos principes fondamentaux de liberté, d’égalité et de fraternité.
Vos interventions successives, le ton employé, les mots choisis, la logique du bouc émissaire pour tenter de vous exonérer de toute responsabilité, ont contribué à créer un climat de tension extrême, des divisions, des déchirures, de la rancœur, de la peur, de la haine entre les gens. Est-ce là ce que vous vouliez ? Vraiment ? Était-ce là votre objectif ? « Emmerder » ce que vous pensez être une minorité pour obtenir les faveurs d’une majorité ?
Je n’arrive pas à m’expliquer vos dérives sémantiques et comportementales, votre pensée serait-elle trop complexe pour le troubadour que je suis ? En tout état de cause, si je m’en tiens à ce qu’on m’a enseigné à l’école de la République : un Président ne devrait pas avoir envie d’emmerder ses concitoyens, il devrait avoir envie de les entendre, de les comprendre, de débattre honnêtement avec eux, de respecter leurs droits et leur dignité, même quand ils ne sont pas d’accord avec lui. Surtout quand ils n’ont enfreint aucune loi, dois-je vous le rappeler ?
Vous ne devriez pas insulter vos concitoyens, les dénigrer, les pointer du doigt, sans, qui plus est, leur offrir le moindre droit de réponse.
Il serait tellement plus simple et plus pratique pour vous, je le comprends bien, de pouvoir désigner des coupables sur mesure à cette épidémie sans fin. Ce qui permettrait, entre autres, de faire oublier que la France est un des seuls pays au monde qui a continué à fermer des lits d’hôpitaux ces deux dernières années. De livrer ces gens à la vindicte populaire, de leur ôter d’un mot, d’une formule, jusqu’à leur citoyenneté.
Mais la vie n’est pas ainsi faite Monsieur, il ne suffit pas de dire des choses infondées pour qu’elles deviennent d’un coup, comme par magie, réalités irréfutables. Quand bien même vos mots sont repris en boucle, vus et entendus des millions de fois, cela ne change rien à la réalité des choses : notre contrôle sur l’épidémie en cours est de fait très relatif et les gens sur qui vous jetez l'opprobre n’y sont pour rien. La seule chose que nous pouvons faire ensemble aujourd’hui, c’est de protéger les plus vulnérables d’entre nous, en continuant à vivre, le plus librement et le plus normalement possible ; en ne sacrifiant pas notre jeunesse, en ne sacrifiant pas nos espoirs de société unie et heureuse, raisonnable et vivante, solidaire et fraternelle. En ne sacrifiant pas ce qui fait de notre pays un pays libre et démocratique.
J’aurais aimé que nous traversions cette épreuve dans un climat de confiance, de bienveillance et d’honnêteté. Cela dépendait en premier lieu de vous, et le moins que l’on puisse dire c’est que par votre façon de faire et d’être, vous nous avez fait prendre un tout autre chemin.
Personnellement, je n’ai pas envie de vous « emmerder », d’ailleurs, je n’ai envie d’« emmerder » personne. Je me bats aujourd’hui, comme d’autres, pour ce que je considère essentiel, fondamental et précieux autant que noble : l’idée d’une société réellement démocratique, où l’invective et l’insulte ne font pas office d’arguments, et où la menace, l’intimidation et le chantage ne sont pas érigés en pratiques politiques courantes.
Pour ce qui nous concerne, nous allons dans les semaines qui viennent, continuer à essayer de maintenir du lien entre les gens, autant que possible. Je vous avoue que ce n’est pas une chose simple aujourd’hui, car on doit se battre contre un climat ambiant de profonde division que vous avez largement contribué à installer. Nous allons, à chaque fois que nous le pourrons, continuer à proposer des spectacles et des concerts pour toutes et tous sans exception, sans distinction et sans discrimination. Nous ne pensons pas qu’il y ait, dans notre public, des bons ou des mauvais citoyens, des sous-citoyens, des non-citoyens... Et vous pourrez, si vous le souhaitez, trouver une autre formule à notre sujet pour ajouter à une liste déjà longue : « fainéants », « non-essentiels », « irresponsables », « dangereux »…
Nous considérons pour notre part que ce que nous tâchons de faire dans ce moment particulier de notre histoire est d’utilité publique. Pour ne pas oublier qui nous sommes et qui nous voulons être en tant qu’individus, et en tant que société.
Première publication le 9 janvier 2022 sur
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