À la une de l'Antivol

Publication de L’Antivol-papier n° 16, octobre-décembre 2024

Par la Rédaction

Nous avons le plaisir de vous annoncer que le nouveau numéro de L’Antivol-papier, correspondant au quatrième trimestre 2024, vient de paraître. Il est toujours gratuit et contient des articles qui, nous l’espérons, vous intéresseront autant que les précédents.

Vous pouvez le trouver à Tours :

  • au bar « Le Serpent Volant », 54 rue du Grand Marché
  • à la librairie « Le Livre », 24 place du Grand Marché
  • à la librairie « Bédélire », 81 rue du Commerce
  • à la librairie « Lire au Jardin », 5 rue de Constantine
  • au bar « Les Colettes », 57 quai Paul Bert

Le plus simple est de le demander à l’accueil de ces établissements, aussi aimables qu’essentiels.

Par ailleurs, nous poursuivons la création de notre réseau de diffusion à vocation nationale.

Certains de nos membres ou lecteurs, ailleurs qu’à Tours, ont bien voulu en recevoir – nous prenons en charge les frais postaux – et se chargent de le distribuer autour d’eux.

On peut aussi le trouver à Paris, à la librairie « Quilombo », 23 rue Voltaire 75011, à Saint-Nazaire à la librairie « L’Oiseau Tempête » 20bis rue de la Paix. Dans les Deux-Sèvres La Boisselière (79310 Vouhé), dans l’Isère L’atelier paysan (ZA des Papeteries 38140 Renage), dans le Tarn les éditions La Lenteur (Le Batz 81140 Saint-Michel-de-Vax), dans le Maine-et-Loire l’Université populaire du Saumurois (12 rue de la Tonnelle 49400 Saumur) ont également accepté de faire partie du réseau de distribution. Ce dont nous les remercions tous vivement.

Et nous sommes bien sûr preneurs d’autres bonnes volontés…

Pour nous en faire part, nous communiquer vos réactions à la lecture du journal, nous proposer, comme pour le blog, vos propres contributions, merci d’écrire à lantivol37@gmail.com

À bientôt donc et que vive la presse écrite, réellement libre et radicale…

La Rédaction

PS Pour télécharger les précédents numéros :
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Une faim moderne

Robert Linhart

On a beaucoup reparlé ces temps-ci de Robert Linhart, à l’occasion de l’adaptation cinématographique (intéressante mais discutable…) de son opus majeur L’Établi, publié en 1978 aux Éditions de Minuit. Moins connu, Le Sucre et la Faim, sorti deux ans plus tard chez le même éditeur et sous-titré « Enquête dans les régions sucrières du nord-est brésilien » mérite, autant que L’Établi, lecture. On y trouvera, intitulé « Une faim moderne », le passage reproduit ci-dessous. Intelligence, acuité d’écriture et d’analyse s’y conjuguent pour nous donner à comprendre ce qui, ici ou ailleurs, n’a jamais cessé d’être…

Mourir de faim avec tous les documents du monde, contrat de travail, assurances, fiches de paye. Mourir de faim pour le « modèle exportateur » et les rentrées de devises.

À mesure que je recueillais témoignages et données, la faim m’apparaissait avec une terrible netteté comme la matière et le produit d’un dispositif compliqué jusqu’au raffinement. La faim n’était pas une simple absence spectaculaire, presque accidentelle, d’aliments disponibles – comme on nous la présente quand on veut nous faire croire qu’il suffirait, pour l’étancher, de mouvements de charité, de « secours d’urgence ». La faim du Nord-Est était une part essentielle de ce que le pouvoir militaire appelait « développement » du Brésil. Ce n’était pas une faim simple, une faim primitive. C’était une faim élaborée, une faim perfectionnée, une faim en plein essor, en un mot, une faim moderne. Je la voyais progresser par vagues, appelées plans économiques, projets de développement, pôles industriels, mesures d’incitation à l’investissement, mécanisation et modernisation de l’agriculture. Il fallait beaucoup de travail pour produire cette faim-là. De fait, un grand nombre de gens y travaillaient d’arrache-pied. On s’y affairait dans des buildings, des bureaux, des palais et toutes sortes de postes de commandement et de contrôle. Cette faim bourdonnait d’ordres d’achat passés par télex, de lignes de crédit en dollars, marks, francs, yens, d’opérations fiévreuses sur les commodities markets, de transactions financières, d’anticipations, d’astuces et de bons coups. On n’en avait jamais fini d’entrer dans le détail de la production de cette faim. Des commerçants, des banquiers, des armateurs, des chefs d’entreprise, des experts, des hommes d’affaires y avaient leur part, et une armée d’intermédiaires, de courtiers et de négociants. Et des bureaux d’études, des instituts de planification. Et tous ces gens parvenaient à faire jaillir de cette faim commissions, bénéfices, profits, rentes, loyers, dividendes… Oui, vraiment, l’organisation minutieuse du développement de cette faim m’apparaissait comme une chose prodigieuse.

Par ses caractéristiques mêmes, cette faim se confondait avec le développement du mode de production. Monoculture sucrière, monotonie alimentaire. Une faim lente, patiente, une faim de grignotage, progressant au rythme de l’économie marchande. La production systématique d’une humanité subalterne, réduite à une existence presque végétative, mais dans laquelle le capitalisme puisait une force de travail.

N’était-ce pas un prodige de l’économie politique moderne, de parvenir ainsi à force de patience (un sou est un sou : on gratte ici sur le salaire horaire, là en truquant l’indice d’inflation ailleurs en récupérant vingt mètre carrés de potager pour y planter de la canne) à tout transformer en faim : travail, récoltes, subventions, investissements ?

Chacun était incorporé à cette économie de la faim par un moyen adéquat : il y en avait de spécifiques aux sédentaires et aux nomades, aux permanents et aux temporaires, aux ouvriers, aux petits propriétaires… Je découvrais, en enquêtant parmi les ouvriers agricoles et les petits cultivateurs de la zona da mata, la complexité du système d’écrasement qui les prenait un à un sur les terres de l’agreste, sur les plantations sucrières, dans les bidonvilles et aux carrefours de ramassage des camions d’ouvriers, qui les arrachait à leurs cultures et à leurs parcelles, qui dévalorisait leurs récoltes et leur travail, qui les divisait en catégories multiples, qui les expulsait vers d’autres régions.

Ici ce vieil ouvrier agricole affamé mais muni de « tous les documents du monde ».

Là ces petits producteurs ruinés par de trop bonnes récoltes.

Extrait de Robert Linhart, Le Sucre et la Faim, Éditions de Minuit, 1980, p. 53-55.

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