À la une de l'Antivol

Publication de L’Antivol-papier n° 17, janvier-mars 2025

Nous avons le plaisir de vous annoncer que le nouveau numéro de L’Antivol-papier, correspondant au premier trimestre 2025, vient de paraître. Il est toujours gratuit et contient des articles qui, nous l’espérons, vous intéresseront autant que les précédents.

Six questions à « Pas d’enfant à la rue »

Il y a quelques semaines, L’Antivol a proposé au collectif « Pas d’enfant à la rue » un entretien sur le combat mené depuis maintenant plus de dix-huit mois. Deux de ses membres ont bien voulu prendre de leur temps pour nous répondre.

Par Aurélie Ardouin et Eusébio de Souza du collectif

Il y a quelques semaines, L’Antivol a proposé au collectif « Pas d’enfant à la rue » un entretien sur le combat mené depuis maintenant plus de dix-huit mois. Deux de ses membres ont bien voulu prendre de leur temps pour nous répondre.

1) Pouvez-vous rappeler brièvement l’origine de votre collectif, ses principaux buts et actions ? Quel en est le bilan, après plus d’un an et demi d’existence ?

Le collectif est né d’une réunion initiée par les enseignants de l’école Michelet à Tours, ouverte aux collègues des écoles voisines et aux parents d’élèves de l’école. Des élèves se sont retrouvés sans abri de manière répétitive et non plus ponctuelle. Il s’agissait de dresser un état des lieux de la situation dans les écoles et de réfléchir aux actions que nous pouvions engager collectivement.

Le but était double : alerter les élus et les institutions afin que les élèves ne soient plus confrontés à cette situation (préfecture, directeur académique, députés, maire, élus municipaux, élus départementaux, représentants de la métropole) et mettre les élèves et leurs familles à l’abri en attendant qu’ils soient pris en charge par les pouvoirs publics.

Des courriers ont été adressés et des audiences ont suivi. Une première occupation d’école a eu lieu ainsi qu’une interruption du conseil municipal. D’autres occupations d’école ont suivi.

Un an après le début, le collectif a décidé d’occuper le Palais des Sports au moment de la fin de la trêve hivernale, alors qu’une vingtaine d’enfants scolarisés dans l’agglomération était remise à la rue par la Préfecture.

Après plus d’un an et demi d'existence, le collectif a obtenu :

  • l’implication du Département (dont c’est la prérogative) qui prend désormais en charge les femmes seules enceintes ou avec enfants quand la Préfecture ne le fait pas;
  • l’implication de la Municipalité de Tours (dont ce n’est pas la prérogative) dans la prise en charge (ouverture à deux reprises d’un gymnase non réquisitionné par la Préfecture, relogement temporaire en appartement de trente-deux personnes, nuits d’hôtels, recours gracieux engagé contre l’État) ;
  • l’implication de la Métropole de Tours (dont ce n’est pas la prérogative) dans la prise en charge de nuits d’hôtels ;
  • l’implication de la députation de la circonscription de Tours (transformation de la permanence parlementaire en hébergement d’urgence pendant une dizaine de jours, question posée au gouvernement, déblocage d’une enveloppe supplémentaire votée à l'Assemblée qui n'a d’ailleurs jamais été reversée aux Préfectures depuis) ;
  • un relais médiatique sur la question.

Les institutions et pouvoirs publics qui n’ont pas comme « prérogative » l’hébergement d’urgence inconditionnel ont pour autant des instances décisionnelles en ce qui concerne le logement social (attribution et construction). Le 115 est en partie occupé par des personnes qui sont éligibles au logement social ou qui devraient avoir une place en Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) (déficit de 200 places en Indre-et-Loire). L’hébergement d’urgence journalier représente entre 600 et 850 places. Si l’on enlève les 200 places qui devraient être pourvues en CADA et celles mobilisées par les personnes relevant du logement social, il n’y a plus de problème de « surcharge » de l’hébergement d’urgence. Aussi est-il important de mentionner que les institutions dont ce n’est pas la prérogative ont tout autant leur rôle à jouer dans la chaîne générale du logement.

2) Existe-t-il, au sein du collectif, des sujets de divergence sur les objectifs, les modes d’action, les relations avec les institutions, les solutions ? Et, si oui, lesquels et comment parvenez-vous à les surmonter ?

L'objectif est le même pour tous les membres du collectif : disparaître dès lors que plus aucun enfant ne sera confronté à la rue.

Les différents modes d’action n’emportent pas toujours l’adhésion de l’ensemble des membres du collectif. S’emparent des différents modes opératoires ceux qui le souhaitent : écrire et assister à des audiences avec les pouvoirs publics, occuper des lieux publics ou privés, occuper les écoles des élèves concernés par des périodes de sans-abrisme, entretenir une cagnotte pour mettre à l’abri des élèves et leurs familles à l’hôtel...

Les divergences internes sont affichées et quand les discours publics et médiatiques deviennent contradictoires, ils traduisent des positions différentes du collectif.

3) Les choses se passent-elles toujours bien avec les familles que vous soutenez ? Comment sont-elles associées aux réflexions, décisions, actions ?

Il est difficile de répondre à cette question dans la mesure où il n’existe pas de rapport égalitaire entre les familles et le collectif. Les parents des enfants, se trouvant dans des situations insoutenables et angoissantes, ne peuvent qu’acquiescer aux propositions qui leur sont faites. Le collectif propose des actions aux familles qui décident (ou non) de les suivre. En revanche, dès que les familles se positionnent collectivement sur des revendications (comme ne pas accepter la première proposition de la Mairie de Tours lors de la première occupation du Palais des Sports), le collectif « Pas d'enfant à la rue » les soutient.

4) Quelles sont les répercussions de votre engagement sur votre quotidien d’enseignant-e, de parent, de citoyen, d’être humain ?

Cet engagement a des répercussions sur la sphère professionnelle des enseignants et sur les sphères familiales de toutes les personnes engagées. L’intranquillité permanente ne permet pas d’évoluer dans un contexte professionnel et humain « normal ».

En revanche, la tentative d'engagement est préférable à l’impuissance totale subie quand le collectif n’existait pas encore.

Du côté des familles, il est notable que le « partage » de ces situations inhumaines est plus « salvateur » que l’isolement familial face à ces situations. Même si la vie en collectivité est difficile et fatigante, on sent qu’il leur est plus facile d’être ensemble qu’isolés dans un hôtel à l’autre bout de la ville.

5) Tout collectif a ses forces et ses faiblesses. Quelle est votre analyse à ce sujet et, plus largement, comment envisagez-vous l’avenir ?

En effet, tout collectif a ses forces et ses faiblesses et le collectif « Pas d’enfant à la rue » n'échappe pas à cette « règle ». L’analyse qui peut être livrée après cette année et demie ne peut être que succincte dans la mesure où la jeunesse de ce collectif ne permet pas encore de tirer des conclusions définitives.

Cependant, on peut déjà avancer quelques éléments factuels qui semblent significatifs. Par exemple, pour ce vous appelez les forces, on peut avancer que le statut « collectif » qui finalement n’est pas un statut juridique (pas de déclaration à la préfecture contrairement à une association) est un avantage certain. Il nous permet de constituer un regroupement de personnes avec un objectif commun, tout en préservant l’indépendance de chacun dans nos actions. On peut dire que pour le moment cela constitue un élément déterminant qui nous a permis d’obtenir quelques résultats. Le fait pour le collectif de pouvoir affirmer sa volonté de disparaître car il n’a aucune envie de durer lui permet de ne pas rentrer dans le schéma classique : création d'une association subventionnée/perte d’autonomie probable notamment sur la critique politique (voir les actions et résultats cités à la question 1).

Pour nous, collectif « Pas d’enfant à la rue » d’Indre-et-Loire (37), cette autonomie constitue un ciment fédérateur de ses membres actuels. Pour autant, et nous en sommes bien conscients, cela pourrait être une faiblesse à venir. Le collectif peut varier dans ses orientations selon les membres en présence. Il faut bien considérer que ce « collectif » n’existe que par ses actions, autrement dit, par la présence et la disponibilité des personnes le constituant. C’est pourquoi, s’il veut garder sa cohérence, il doit garder le plus possible une ligne claire sur ses orientations.

Pour ne pas être trop fastidieux sur les différents points des forces et faiblesses du collectif, on pourrait résumer d’une formule caractéristique qui répond aux principes du collectif : « où il y a avantage, il y a nécessairement un inconvénient ».

Concernant l’avenir, nous ne pouvons qu’être très inquiets. Et même si nous avons obtenu localement quelques avancées (ou peut-être des « miettes »), nous sommes loin de la prise de conscience politique espérée. Le constat, c’est qu’aujourd'hui, politiquement, en France, à Tours, on tolère que tous les soirs des enfants, parfois des bébés, dorment à la rue.

6) Souhaitez-vous ajouter d’autres éléments ? Réflexions, événements ou faits marquants, anecdotes significatives, etc. que vous n’avez pas pu évoquer et qu’il vous paraît utile de mentionner.

Oui, une dernière chose à ajouter sur le cynisme du moment. On savait déjà que la politique du néolibéralisme était d’organiser les questions du désordre afin de le gérer comme outil politique ; mais de là à nier l’intégrité physique d'enfants, il y a un pas qui vient d’être franchi dans la morale politique : autrement dit nous vivons à nouveau des temps sombres.

Lire l’appel fondateur du collectif :
https://www.lantivol.com/2023/04/pas-denfant-la-rue.html

Pour le joindre et le rejoindre :
https://www.facebook.com/profile.php?id=100094975186229
collectif.pas.d.enfant.a.la.rue@gmail.com

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